barcelona review #11   february - march 1999

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biographie de l’auteur | version originale anglaise | traduction espagnole

L’homme qui est sorti acheter des cigarettespiggy
Michael Knight

 

      Au retour du travail un soir, j’ai trouvé ma femme assise dans son fauteuil roulant à côté du lit. Elle portait un bustier bleu nuit et des jarretelles assorties, la lisière en dentelle de ses bas dépassant légèrement la couverture posée sur ses genoux. Marilyn, ma femme. Elle avait consacré un certain temps à placer ses cheveux. Bien brossés, ils descendaient sur ses épaules, cuivrés et fins, frisés aux extrémités. Ses doigts tortillaient la couverture, ses jambes fantomatiques en dessous, comme un meuble recouvert. Elle restait silencieuse. Devant elle, j’ai déversé sur la coiffeuse une poignée de monnaie, retiré mes tennis et mes chaussettes mouillées. Je travaillais comme matelot sur une vedette de pêche sportive. Les écailles luisantes comme des paillettes et les traînées d’entrailles de poisson qui maculaient mon tee-shirt et mon short témoignaient de mon labeur. Nu, j’ai descendu l’amas puant à la buanderie et l’ai laissé tomber au fond de la machine. J’avais recouvert de caoutchouc le sol de tous les couloirs pour qu’elle puisse se déplacer plus facilement. La maison était silencieuse.
      Lorsque je suis remonté, rien n’avait changé.
      Je me suis assis au bord du lit et j’ai dit : « Je sens mauvais. »
      – Pas tant que ça, a-t-elle répondu. Elle a touché ma cuisse de sa main. J’ai dit :
      – Que veux-tu que je fasse?
      – Soulève-moi, Duncan, a-t-elle dit. Pose-moi sur le lit.
      J’ai l’habitude, maintenant, de la transporter sur le lit, de prendre dans mes bras ses jambes fines et indifférentes comme des enfants endormis. J’ai suffisamment d’énergie pour nous deux. Mais ce soir-là, je l’ai laissée tomber sur le matelas, gauche comme un homme saoul. J’ai tiré sur ses genoux et ses chevilles comme sur des taies d’oreiller remplies de pierres. Attention, a-t-elle dit, vas-y doucement. Je me suis confondu en excuses. Pour compenser son immobilité, Marilyn s’est mise à caresser l’arrière de mes bras, à parcourir mon échine de haut en bas avec le bout de ses ongles. Elle a émis un gémissement et continué. Je ne pouvais m’empêcher de penser que je lui faisais mal – elle était si frêle et menue. J’imaginais ses hanches manquer sous les miennes, me voyais l’emmener en hâte à l’hôpital sous les yeux du personnel des urgences qui se demanderait comment je m’y prends pour faire l’amour avec une infirme.
      – Ça va? lui ai-je demandé. Tout va bien?
      – Ça va, a-t-elle répondu, tu n’as pas besoin de t’arrêter.
      Elle a posé ses mains sur mes fesses et m’a poussé en elle. Ma peau devenait moite. J’ai jeté un regard par-dessus mon épaule vers ses jambes posées à côté des miennes, ses pieds tournés en dehors. Je me suis senti me ramollir en elle.
      – Peux-tu même me sentir? ai-je demandé.
      – Oui, a-t-elle répondu, je peux te sentir.
      Son mensonge me fit rougir et je collai mon visage au creux de son cou.
      – Tu n’y arrives pas, n’est-ce pas?
      Elle est restée silencieuse un instant puis a fait :
      – Pas comme avant, mais je peux te sentir, je t’assure.
      J’avais l’impression que mes os se liquéfiaient. Je m’attendais toujours à ce qu’elle se fâche, me dise à quel point j’étais inutile, même plus bon pour le sexe. Elle était ma femme. Je voulais qu’elle se fâche. Comme à l’hôpital, tout de suite après l’accident. Son visage était alors recouvert de cheveux emmêlés et de sang, ses joues comprimées par cette machine qu’ils ont utilisée pour immobiliser sa tête. Je me suis penché par-dessus la civière roulante pour qu’elle puisse me voir et elle a fait :
      – Quelqu’un est assis sur mes jambes. Dis à ce gros fils de pute de s’enlever de mes jambes.
      Je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre. Des flammes dansaient dans ses yeux. J’ai dirigé mon regard vers un point dans le vide où le visage aurait pu se trouver.
      – Dégage, ai-je dit, t’es assis sur les jambes de ma femme.
      J’avais les yeux bien fermés à présent. Marilyn continuait de me caresser l’échine du bout des ongles. Elle sentait la poudre et avait une odeur un peu défraîchie, comme un bébé. La dentelle de son bustier piquait ma poitrine comme des écailles.
      Après un moment elle a dit :
      – Ce serait peut-être mieux si on éteignait la lumière?
      Je me suis laissé rouler à côté d’elle et j’ai posé les pieds sur le plancher. La pièce tanguait sous moi, comme on peut encore sentir l’océan dans les jambes après être débarqué sur la terre ferme. Je ne savais pas ce que j’avais. Elle était ma femme depuis sept ans. J’ai allumé une cigarette, fait tomber la cendre d’un petit coup dans un de mes tennis.
      – Duncan? a-t-elle fait.
      – Non, tu es très belle. Je te l’ai déjà dit.
      – Tu n’as pas dit ça. Tu ne m’as pas regardée depuis trois cent dix-sept jours.
      – Bon, ai-je dit, puis j’ai frotté mon œil avec la paume de ma main, écoute Marilyn, il faut que je sorte un moment. Il faut que j’aille acheter des cigarettes, okay?
      Marilyn était si petite que je pouvais à peine sentir sa présence sur le lit derrière moi. Elle avait cette façon de se faire tellement silencieuse et immobile qu’on ne savait même pas qu’elle était là. Comme le jour où je l’avais ramenée de l’hôpital et qu’elle avait laissé de côté sa colère. Elle m’avait demandé de la pousser jusqu’à la fenêtre avant de partir travailler; seulement, plutôt que de faire face à l’océan, elle avait voulu que son fauteuil soit tourné vers le mur, de sorte que l’eau soit à sa gauche. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu :
      – Je veux avoir une vue latérale sur le monde. Comme de la fenêtre d’une voiture.
      J’ai d’abord pensé que c’était relié à l’accident. Elle tentait de recréer de manière lugubre et dangereuse la vue qu’elle avait au moment où elle fut heurtée sur le côté. Mais j’ai fini par croire qu’il s’agissait de tout autre chose, sans savoir quoi exactement, par la façon dont elle restait assise en silence, les marées montant et descendant à sa gauche, le soleil inondant la route entre notre maison et la plage, le vent faisant danser le sable des dunes. Lorsqu’on mangeait le soir, elle s’asseyait de côté à la table. Lorsqu’on dormait, elle restait allongée sur le côté gauche face à moi, les yeux dirigés vers mon dos. C’est à cette période que j’ai commencé à prendre part plus souvent aux voyages de nuit sur le bateau. À la pêche au requin.
      Je n’arrivais pas à dormir à la maison et à bord du bateau je n’avais pas à dormir du tout. Nous nous laissions doucement aller à la dérive, parsemant la surface de l’eau de restes de boucherie et d’entrailles de poissons pour faire monter les requins des profondeurs. Avec Meadowlark, l’autre matelot, un petit Bahamien à la coupe afro des années soixante-dix, je m’asseyais sur le pont, subtilisant des bières dans les glacières des clients qui payaient. C’est aussi à peu près à cette période que j’ai trompé ma femme. Deux couples étaient montés à bord la veille, tout excités, plaisantant sur la possibilité d’attraper un mangeur d’homme dans le golfe du Mexique. Lorsque j’ai dit à l’une des femmes, Gail, qu’il n’y avait pas de mangeurs d’homme dans le golfe mais seulement des requins-taupes, des requins-marteaux, des requins bordés et d’autres poissons de ce genre, et que nous pouvions nous estimer chanceux si nous attrapions un vrai requin, elle m’a fait un large sourire et a dit : « Tu es tellement prosaïque. C’est ce que j’adore chez toi. »
      Ce soir-là, elle est montée sur le pont vêtue uniquement d’un tee-shirt et d’un slip. Tout le monde en bas dormait. Nous étions censés les réveiller à minuit. Elle avait apporté un joint et nous l’avons fait tourner entre nous trois. Après un certain temps, elle s’est éloignée en se laissant glisser le long du plat-bord jusqu’à la proue, ses jambes luisantes comme la glace sous la lune. Meadowlark m’a dit : « Elle veut baiser avec toi, mec. »
      – Tu es cinglé, ai-je dit.
      J’ai regardé en direction de la proue mais je ne la voyais plus. Elle était probablement appuyée contre la passerelle. Je ne voyais que l’océan.
      – J’suis pas cinglé. Meadowlark se leva et pissa par-dessus bord. Après, il se tourna vers moi la bitte dans la main et dit : « Tu vois ça? » Il brandit son pénis dans ma direction. « Tu vois comme elle est en santé? Comme elle est noire et vigoureuse? »
      – Très impressionnant, ai-je dit.
      – C’parce que j’baise tout l’temps. Ta femme est dans sa chaise, mec. Faut que tu t’en serves de ta bitte. Ou elle va vraiment finir par tomber.
      Je suis donc allé trouver Gail et lui ait fait l’amour en hâte, son mari endormi sous le pont, ma femme à la maison avec ses jambes inutiles et les eaux en dessous grouillant de requins affamés. En rentrant, j’ai songé à dire à Marilyn ce qui s’était passé mais j’ai décidé de me taire. Je me suis dit qu’elle n’avait pas besoin d’entendre ce genre de chose. C’était déjà assez difficile comme ça.
      Marilyn et moi vivons sur la seule île habitée au large de la côte de l’Alabama. Il y a une légende autour de l’endroit qui remonte au moment où les Français venaient de s’installer à Mobile. On dit qu’un de ces mangeurs de grenouilles futés eut la brillante idée d’utiliser l’île Dauphin pour garder des cochons pour la colonie. Nul besoin de clôtures, car il était un fait acquis que les cochons ne savaient pas nager. Il suffisait d’y abandonner deux porchers et de leur envoyer de la nourriture et de l’eau. Mais ils s’étaient trompés sur les cochons. D’après la légende, les porchers furent une nuit réveillés par un vacarme absurde, des claquements de branches, des bruits d’éclaboussement comme si quelqu’un jetait des blocs de pierre à l’eau… et ils aperçurent les cochons qui fuyaient vers le continent. Entre l’île et le golfe, on n’entendait rien que les cris perçants des cochons, des centaines de cochons qui battaient frénétiquement leurs petits onglons durs en direction de la côte libératrice.
      Parfois, lorsque nous sortons de la marina en empruntant le lent virage du canal qui relie les îles Dauphin et Petite Bois – que les habitants d’Alabama prononcent « petty boy » – j’imagine ces cochons dans l’eau, le groin levé vers le ciel de manière hautaine, leurs soies grossières plaquées au corps par l’eau salée et je ne peux m’empêcher de rire. Un des passagers payants me demande alors ce qu’il y a de si drôle. Je lui raconte l’histoire et, soudain, je suis maître de l’océan et du sable blanc et de la courbe du rivage où les cochons atteignirent la terre ferme. Je fais partie de toutes ces choses et elles aussi font partie de moi.
      Un soir, je tentai de décrire ce sentiment à Marilyn. C’était avant que nous soyons mariés. Nous étions assis sous le porche à regarder au loin par-dessus le foin des marais derrière chez moi, pendant que les papillons de nuit se frappaient contre la moustiquaire. Elle avait gardé son uniforme – Marilyn travaillait au sanctuaire d’oiseaux de l’île Dauphin avant l’accident et elle portait alors un costume de garde forestier, une saharienne, un short marron à revers, les cheveux remontés sous une casquette, des bottes de randonnée – et je lui disais toujours qu’elle avait l’air d’un boy scout, ses jambes courtaudes et robustes dans l'obscurité du porche. Elle me demanda pourquoi je faisais encore le travail que les adolescents font pendant leurs vacances d’été. Elle ne le dit pas d’un ton méchant – elle voulait savoir, c’est tout. Je lui racontai la légende des cochons et, lorsque j’eus terminé, elle porta ma main à ses lèvres et m’embrassa sur les jointures, comme si c’était la plus belle chose qu’elle eut entendue depuis longtemps. Mon odeur lui fit plisser le nez. « Allons te nettoyer un peu », dit-elle. Et elle me conduisit jusqu’à la baignoire en me tenant par la main. Elle s’appliqua alors à me laver jusqu’à ce que je sois propre comme un sou neuf, frottant mes ongles, l’intérieur de mes cuisses, mes pieds pâles et plissés par l’eau. On aurait pu utiliser mon ventre en guise d’assiette. Marilyn l’embrassa justement quand nous eûmes fini. Et aussi mes genoux roses, mon torse et ma pointe de cheveux sur le front. Ce n’était pas du tout comme son bain après l’accident, ses clapotements, ses larmes, ses jambes caoutchouteuses de mannequin… Je reluisais sous ses lèvres. Je ne me rappelle pas m’être senti aussi propre, ni avant ni depuis ce moment.
      C’est ce à quoi je pensais après avoir été incapable de faire l’amour à ma femme.
      J’étais assis sur le plateau de la camionnette – ma vieille Ford équipée d’un élévateur pour fauteuils roulants – face à la bande blanche et plate que formait la plage de l’autre côté de la rue. L’océan se fondait dans l’obscurité. Même lorsque j’ai porté à ma bouche ma troisième cigarette, j’ai senti l’odeur de poisson mort au bout de mes doigts. Nous avions eu un équipage pour la pêche au poisson de fond pendant la journée. L’après-midi durant, j’avais tranché des appâts vivants pour les clients, fixé les carrés argentés sur des hameçons d’un demi-pouce, décroché les vivaneaux haletants et les balistes gris, tous aussi vifs que la palette d’un peintre lorsqu’ils étaient encore sous l’eau, avant que je ne les jette dans le vivier, où ils tournoyaient dans leur circuit d’attente jusqu’à ce que le client, qui avait payé une somme généreuse pour ce privilège, soit prêt à les voir mourir.
      Dehors, j’ai senti mes mains, soufflé de la fumée sur mes jointures. Du sable virevoltait sur la chaussée. L’air était si chargé d’humidité qu’on avait la sensation de respirer sous l’eau. Mon cœur a fait un petit bond dans ma poitrine. Je me suis mis à songer à ce que ce serait de démarrer soudain la voiture et de partir, d’être ce genre de gars dont on entend parler parfois, qui dit « Chérie, je sors acheter des cigarettes » puis qui ferme la porte derrière lui et roule ensuite jusqu’à sa prochaine vie. Il tourne à gauche devant la maison, comme il le fait tous les jours, puis le voilà tout à coup au Texas avec une nouvelle femme, deux enfants, son propre bateau, et partout où il pose le regard, à perte de vue, de l’eau turquoise. Le vent transporte des voix de pirates et ses enfants sont fous d’excitation parce que leur père tient un marlin au bout de sa ligne, et sa femme semble tout droit tirée d’un magazine, blonde, bronzée et remplie d’amour. Il apprend à jouer au tennis avec sa fille et montre à son fils comment prendre une sériole au filet. Il fait l’amour à sa femme. Quand les enfants ont grandi et quitté la maison, tous deux s’assoient sur le porche le soir et contemplent l’eau, et il ne songe jamais à sa vie précédente, ne regarde jamais dans le rétroviseur lorsqu’il conduit pour aller se recueillir sur la tombe de sa femme, là-haut sur le flanc de coteau fleuri, pas plus qu’il ne pense à ce qu’il a laissé derrière, l’autre femme et leur passé commun. Il a fait une coupure nette, l’homme qui est sorti acheter des cigarettes, et il sait que s’il se laisse aller à se rappeler, ne serait-ce qu’une seconde, ce sera comme si moins d’une année s’était écoulée, et il sera catapulté dans le temps et l’espace pour se retrouver assis à l’arrière d’une camionnette, reniflant ses mains puantes et souhaitant être le genre de type qui peut laisser sa femme. J’ai envoyé ma cigarette dans la rue d’une pichenette, les cendres incandescentes ont volé en tous sens comme un essaim d’abeilles et j’ai sauté au bas de ma camionnette. J’ai regardé les galaxies scintiller dans le ciel. Notre fenêtre de chambre formait un carré jaune lumineux dans la nuit. De l’autre côté de cette fenêtre, il y avait ma femme. Une fois rentré, je suis passé par la buanderie, j’ai versé du détersif sur mes vêtements de travail, ai fait démarrer la machine puis je me suis servi un verre de bière dans la cuisine et je l’ai transporté jusqu’à Marilyn. Les tapis de couloir absorbaient tous les sons et la seule lumière se trouvait au bout du couloir. Je me suis senti tout drôle à ce moment-là, patraque et déboussolé, comme si je remontais à la surface d’eaux profondes, traversant toutes les années vécues avec Marilyn, toutes ces fois où j’ai posé mes lèvres sur sa cicatrice d’appendicite, toutes les nuits que nous avons passées à parler des enfants que nous aurions ensemble, les journées sur les plages hivernales, une fois les touristes partis pour la saison, toutes ces choses mises l’une sur l’autre, pour en arriver jusqu’ici. Marilyn était encore au lit. Elle a ouvert les yeux quand je suis entré, mais je savais qu’elle n’avait pas dormi.
      – Je n’ai pas entendu le moteur démarrer, a-t-elle dit.
      – Écoute, ai-je fait m’asseyant au bord du lit. Tu te rappelles ces cochons qui se sont mis à nager?
      – Ce n’est pas tout à fait ce que j’attendais comme réponse.
      Je pouvais voir son reflet dans la fenêtre. Elle regardait mon dos. Après un moment, elle a dit :
      – D’accord, qu’est-ce qu’ils ont ces cochons?
      – Les bois au nord de l’État sont pleins de cochons sauvages. Les mêmes que ceux qui se sont enfuis de l’île. Il y en a tellement qu’on peut les chasser toute l’année.
      – Et alors? Les bois sont pleins de saucisse, et alors?
      – Je me demande seulement parfois comment ils ont fait pour savoir de quel côté il fallait nager. Personne ne croyait qu’ils pouvaient seulement nager. Comment ont-ils pris naturellement la bonne direction plutôt que d’aller tout droit vers le golfe et se noyer?
      Marilyn n’a pas répondu. Elle s’est redressée sur ses coudes et s’est glissée vers l’arrière centimètre par centimètre jusqu’à ce qu’elle puisse s’adosser à la tête de lit. Je pouvais entendre sa respiration, et il m’a semblé que je pouvais presque discerner ses pensées. Elle aurait voulu me demander ce qui pouvait bien me faire parler de ça à un moment pareil. Ces cochons n’ont rien à voir avec nous, avait-elle envie de dire. Et elle aurait eu raison de le dire : ils n’avaient effectivement rien à voir. C’est seulement une chose qui a surgi dans mon esprit quand j’aurais dû penser à ma femme. Mais elle est restée silencieuse. J’ai sorti une autre cigarette pour l’allumer mais je n’en avais pas vraiment envie, alors je n’ai fait que la tenir et donner de petits coups sur le filtre avec l’ongle de mon pouce. Elle a dit :
      – Regarde-moi.
      – J’attends toujours que ça devienne plus facile, Marilyn.
      – Regarde-moi, a-t-elle répété.
      Je ne me suis pas retourné tout de suite. Rien ne s’était encore passé et je voulais retenir le sentiment que j’avais à cet instant. L’air était rempli de choix, et ce n’était qu’une question de temps avant que je n’opte pour celui que je pourrais supporter.

© 1998 Michael Knight
Traduit par Eva-Marie Toussaint
biographie de l’auteur | version originale anglaise | traduction espagnole

«The Man Who Went out for Cigarettes» a d’abord été publiée dans le recueil Dogfight and Other Stories chez Plume, en 1998. La présente version électronique est publiée avec l’accord préalable de l’auteur et de John Hawkins Associates.

Cette nouvelle ne peut être archivée ou distribuée sans la permission expresse de l’auteur et de la maison d’édition.

Michael Knight a gagné en 1996 le concours de fiction littéraire universitaire de Playboy et a fait partie en 1997 de l’antologie Scribner’s Best of the Fiction Workshops Anthology. Ses nouvelles sont parues dans The Paris Review, Story, Virginia Quarterly Review, The Crescent Review et Shenandoah. Originaire de l’Alabama, Michael Knight a enseigné à l’école Gilman de Baltimore et à l’université Hollins à Roanoke (Virginie). Son premier roman, Divining Rod, a été publié chez Dutton. m_knight.jpg (8075 bytes)
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